Paul Auster - "Tombouctou" |
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Paul Auster - "Tombouctou"
&
John Irving - "Une veuve de papier"
Il était une fois deux histoires...
Il était une fois deux histoires d'écrivains. Deux histoires si différentes qu'on me demandera sans doute ce qui m'a prit de les rassembler sous un même commentaire.Tout et rien, à vrai dire. Et l'affection sans doute que je nourris envers leurs auteurs.
La première est de Paul Auster et de son double désespéré, poète-clochard et flambeur de vie. Ici l'œuvre n'a pas beaucoup de sens. Une fois écrite, elle est vouée à disparaître sans avoir été lue. Mais cela ne l'empêche pas d'exister. Dans la mémoire mourante de celui qui l'a écrit, dans celle enthousiaste mais peu appréciative de son chien et dans nos souvenirs, à nous, lecteurs qui nous surprenons à penser au détour d'un extrait livré par le(s) auteur(s) "au moins un passage sauvé de l'oubli".
Tel est le pouvoir de Paul Auster. La réalité de ses personnages improbables est telle qu'elle éclipse sa propre présence d'écrivain. Alors une fois de plus nous nous laissons hypnotiser par ces désirs en marche qu'il anime pour nous. Et une fois de plus nous les voyons se dissoudre, phagocytés par leurs rêves, devenus rêves eux-mêmes entre les lignes imprimées qui fixent leur destin. Jamais comme chez Auster on n'a l'impression qu'il suffirait de tourner une page de plus pour continuer à les entendre respirer.
On m'objectera que l'écrivain ici ne fait que passer (dans tous les sens du mot). Qu'on en finit avec lui et sa toux dans les premiers chapitres et que son œuvre disparaît avec lui définitivement. Moi je crois que le poète survit au vaurien dans les pérégrinations de Mr Bone, dans sa résolution à ne pas oublier son maître et à s'adapter de toutes ses forces au monde qui l'entoure. Ce monde qui, parce qu'il est tout ce qu'il y a de plus ordinaire, ni bon, ni mauvais, n'en est que plus déroutant. Au fond, Tombouctou, le pays d'au-delà la mort ou seuls certains chiens sont admis à rejoindre leur maître est bien plus rassurant. C'est le pays de notre imagination.
Quitter Tombouctou pour atterrir à Long Island entre les lignes claires et franches de John Irving, laissez-moi vous dire que c'est un sacré décalage horaire.
Pourtant voici encore des écrivains, doubles démultipliés qu'il ballade d'Amérique en Europe avec une ironie que je n'ai jamais vu verser dans la méchanceté. Et la question qu'il pose tout au long du roman est comme un écho au parallèle improbable avec la lecture de Paul Auster : qu'est-ce qu'un roman, du vécu ou de l'imaginaire ?
Dans ses pages chacun des quatre écrivains n'en finit pas de se raconter de livre en livre. Contes pour enfants, romans, autobiographie infiniment déclinée ou polars en série, ils tournent sur eux mêmes jusqu'à l'obsession. Et pourtant ils y survivent très bien, menant avec la même application que nous lecteurs (écrivains en puissance ou non) une existence tout ce qu'il y a de banale et de singulière.
La Veuve de papier devenue veuve "pour de vrai" n'en reste pas moins de papier. Un peu comme l'effet Vache qui rit. Irving pose inlassablement sa question à travers toutes les voix qu'il a créées. Et ce qui aurait pu friser la cacophonie se transforme en un de ces canons réglés au souffle près, l'humour en plus.
La différence entre ces deux romans c'est peut-être que si leurs auteurs respectifs deux aiment pareillement leurs personnages, Auster les aime à les laisser mourir alors qu'Irving les aime à les voir vivre. L'autre différence qu'est que Paul Auster fait de son écrivain un saint quand il est poète et un vaurien le reste du temps avouant lui-même qu'un homme devrait se situer quelque part entre les deux. Irving lui a toujours décrit des hommes. Mais si tous deux les aiment autant c'est parce que ces ombres de papier sont l'écho de leur vie et de leur imagination d'écrivains. Et c'est peut-être ce qui manque le plus à mon sens au roman français… mais nous sommes là dans la subjectivité la plus absolue (issue de mon expérience et de mon imaginaire). C'est une question de lecture.
Paul Auster - "Tombouctou"
Paris: Actes Sud, 1999 -
ISBN : 2-7427-2262-9
John Irving - "Une veuve de papier"
Paris : Seuil, 1999
ISBN : 2-02-033493-3