Voici l'homme
Un jour de 1973, mon père nous a quittés, ma mère, mon frère et moi. Il a quitté sa mère, son père, ses frères, ses amis. Il est parti en train avec un visa de touriste en poche. Il a quitté Bucarest pour Paris. Je ne devais le revoir que trois ans plus tard.
Ses bagages ne pesaient pas lourd pour qui partait refaire sa vie. Il collecta au fil des lettres que Dan I.son ami de toujours lui envoyait glissées dans ses pages, une cinquantaine de feuilles de papier pelure format A4 sur lesquelles il avait tapé à la machine, au kilomètre, tous les poèmes qu'il avait écrits et qui lui semblaient dignes de survivre à l'exil. Les retours à la ligne simplement marqués d'un / tracé à la main, les textes séparés à peine d'une ligne ou deux. Du condensé d'écriture.
Du condensé dans tous les sens du terme d'ailleurs : arrivé à Paris il n'a plus jamais écrit. J'ai trouvé cela étrange surtout quand j'ai commencé moi-même à écrire et que nous discutions des heures sur mes textes. Comment un tel homme pouvait-il ne plus écrire ? Ce n'est que lorsqu'il m'a demandé de l'aider à traduire ses poèmes en français que j'ai compris. En lisant ces textes, je l'ai vu, là, tout entier dans ses poèmes. Sa vie d'avant, sa vie d'après, les émotions qu'il avait déjà expérimentées et celles qui lui restaient à vivre. Une écriture prophétique, effrayante de vérité. Un tel homme n'écrivait plus parce qu'il n'avait plus de langue et peut-être rien à dire de plus. Tout était déjà écrit.
Alors, parallèlement au travail de traduction que je mène et que l'on peut voir progresser (les traductions en itallique n'ont pas encore été validées par lui et je vais m'employer à retranscrire au fur et à mesure les textes en version originale dont je lui ai déjà rendu une grande partie), je vous les livre.
Je vous le livre.
Voici l'homme