Epiphanies
Réserves
J'ai mis de côté ce goût de brioche
que nous mangions le dimanche pour le thé,
la consistance de ces bonbons qui fondaient dans nos poches
et leur goût acidulé,
le moelleux enrobant des vrais oreillers
et le chatouillis d'une plume qui pique,
ce parfum humide de laine chauffée,
le bois qui siffle et fume contre le mur de brique,
sous le ciel de midi, le velours des museaux
des veaux dans le pré et leurs langues rêches,
le bruit incessant des cailloux dans l'eau
et celui plus doux du linge qui sèche,
la caresse raide d'un voile de mariée,
le parfum poivré des bottes de frésias,
la lumière tiède des rideaux tirés,
la toux des radiateurs engourdis par le froid,
l'aspect velouté tout juste effleuré
d'un livre qu'on feuillette pour la première fois
avec en bruit de fond la rumeur affairée
de ces salles de lecture aux longues tables de bois,
la puissance étonnante de cette odeur de terre
qui monte des pavés les jours de faible pluie,
le reflet cadencé des pas dans la lumière
des feux tricolores et des néons la nuit,
le parfum caramel du métro certains soirs,
de la colle des affiches et puis du tabac froid,
le velouté amer du café au comptoir
et le bruit d'une baguette qui craque sous les doigts.
Je mets de côté ce goût de matins frais,
ces petits cris miaulés, la musique aigrelette
d'un hochet oublié et l'odeur fade du lait
dans le souffle rythmé de mon enfant qui tète…