Exil
Ce texte comme beaucoup de mes autres "cailloux" a d'abord été écrit pour introduire un Thema de la revue Ecrits...Vains? cailloux
Tous les chemins du monde...

L'écriture de l'exil est une écriture en creux, une écriture d'ombres. C'est se confronter non seulement à la page blanche mais au doute, au deuil et à la culpabilité. Parce que l'exil est à défendre chaque jour à ses propres yeux et à ceux des autres qui trop souvent l'assimilent à un suicide, une forme d'abandon et de lâcheté.

A ce titre le dilemme de la langue est emblématique de toute l'ambiguïté de l'exil. Kafka disait : "la langue, c'est l'haleine sonore de la patrie", ce à quoi Linda Lê, écrivain chinoise exilée en France, ajoute : "Celui qui se sert d'une langue d'emprunt a perdu son ombre et son image".

L'écrivain exilé est donc condamné à l'être à jamais. Même le retour au pays n'est au fond qu'un second exil. Il rompt pour toujours les amarres et toutes racines autres que sa propre écriture.

L'exil est fait tout à la fois d'intemporalité et d'immatérialité. Victor Hugo a écrit : "L'exil n'est pas une chose matérielle... Tous les coins de terre se valent" y compris la sienne propre comme ajoute Aragon, "En étrange pays dans mon pays lui-même".

C'est un temps arrêté où nous sommes confrontés à nous mêmes, dépouillés de la société, de la culture et de l'espace familiers qui nous entouraient. Et le pire alors survient quand on ne trouve aucun écho dans cette confrontation et que l'on se trouve exilé de soi-même.

En cela l'exilé diffère du "simple" émigré fut-il politique, notamment dans le travail d'intégration et de reconstruction d'une identité que ce dernier met en place. L'exilé lui n'est qu'interrogation. Parce que si le départ est souvent provoqué par des pressions politiques ou sociales elles renvoient toujours finalement l'auteur à lui-même. Ismaïl Kadaré a dit à ce propos : "... Alors je pars. Je suis écrivain, et je le resterai toujours, disons que la désillusion a été plus insupportable que l'oppression".

Les textes inspirés par ce thème reflètent cet éloignement des autres et de soi, cette incapacité à réconcilier le temps et l'espace, cette brèche toujours ouverte qui parfois nous englouti.

Ils illustrent aussi cette effrayante liberté qui nous est donné une fois la dernière frontière franchie, le dernier lien arraché.

J'aimerais tant pouvoir dire enfin en écho à Saint-John Perse : "Tous les chemins du monde nous mangent dans la main".



Post-scriptum : 

Deux numéros spéciaux de revues ont tenté de définir ou du moins de délimiter les contours de cette notion fuyante et protéiforme qu'est l'exil. Ils ne sont peut-être pas faciles à trouver dans les circuits habituels mais une bonne bibliothèque devrait les avoir. Il s'agit d'Hermès n°10, 1992 dont la troisième partie (p.193-261) s'intitule "Exil et mémoire" et d'Hommes et migrations n°1142-1143, avril-mai 1991. Toutes deux comportent d'excellentes interventions (qui m'ont beaucoup aidée à mettre des mots sur la nébuleuse de sentiments que m'inspirait ce thème) accompagnées de bibliographies très complètes et la seconde publie trois courtes et remarquables nouvelles sur ce thème.

Post post-scriptum :

est paru depuis...

D'encre et d'exil 3
Troisièmes rencontres internationales des écritures de l'exil
Entretiens  avec  Roberto Gac, Patricio Guzman, Jabbar Yassin Hussin, Jamal
Mahjoub, Luis Mizon, Nimrod, Francisco Rivas, Waldo Rojas.
©  Bibliothèque publique d'information/Centre Pompidou, 2004. 140 p. + 4 p.
d'illustrations. 18 EUR. (Coll. En actes.) ISBN 2-84246-086-3.

Durant  trois  jours,  du  5  au  7 décembre 2003, une dizaine d'écrivains,
poètes, cinéastes  chiliens  sont venus raconter leur chemin parcouru depuis
trente ans, chemin  qui  reflète  aussi  une  longue  histoire  d'accueil et
d'échanges artistiques entre la France et le Chili. D'autres  auteurs,
venus  d'ailleurs,  ont  également  évoqué, lors de ces journées, leur rôle
de passeur, de témoin. C'est d'une partie de ces rencontres que cet ouvrage
rend compte.

Ces rencontres ont lieu régulièrement et sont annoncées sur le site de la BPI